Arlawoud - La Terre des Loups

Je crois que la mort n'est pas une fin, elle nous donne la paix. Mais je crois que seul une belle vie peut nous rendre heureux
 
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 Mayday ~ il faut 10 caractères

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Kayl




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MessageSujet: Re: Mayday ~ il faut 10 caractères   Mayday ~ il faut 10 caractères - Page 2 EmptyDim 21 Aoû - 16:07

Chapitre vingt-six


En quittant Steen à la grille, May n’est pas aussi déçue que d’habitude. Au contraire, elle est excitée comme une puce et a retrouvé sa bonne humeur, même si elle regrette de ne pouvoir emmener le garçon avec elle. Après avoir marché jusqu’au bout de la rue et tourné au coin, elle grimpe dans la petite voiture qui doit l’emmener jusqu’au chenil. Elle réchauffe ses mains froides par la même occasion, la température extérieure étant bien basse. Le petit véhicule serpente dans les rues de Bruxelles tandis que le silence s’installe à son bord. May n’a rien à dire, elle a juste très envie d’y être.
La voiture s’arrête devant un bâtiment jaunâtre, May en descend accompagnée de la grande blonde. Alors c’est ici que vit le joyeux labrador, désormais. Ça n’a pas l’air très joyeux, mais l’habit ne fait pas le moine, n’est-ce pas ? En passant la petite porte, l’adolescente est accueillie par un homme qui lui fait signe d’entrer et par un concert d’aboiements. Il y a là beaucoup de chiens, de toutes races, de toutes tailles et de toutes les couleurs presque. Des petits sautillants au jappement énervant, des grands poilus aux aboiements qui résonnent, des mignons, d’autres moins, mais pas le labrador que May est venue voir. Elle scrute l’intérieur de chaque cage, essayant de le retrouver, lorsque la voix de l’homme retentit derrière elle.

“Je n’ai qu’un seul labrador pour le moment, suivez-moi.”

Les deux femmes emboîtent le pas du propriétaire du chenil. L’adolescente se force à ne pas regarder tous les chiens présents et à se dire qu’elle va revoir le sien, bientôt. Elle aimerait le sortir d’ici, mais elle sait qu’elle n’en a pas le droit. Légalement, il n’est plus à elle, mais à cet homme. Ce dernier arrive vers la fin du couloir et désigne une cage.

“Il est là.”

May s’approche, aperçoit un poil doré familier au fond du carré de fer.

“Kiwi ! Oh j’suis contente de te revoir…
— Ouah !”

Le chien se lève et vient lui lécher les mains en frétillant de la queue, comme avant. May s’assoit sur le sol, oubliant les deux adultes et le monde tout autour d’elle. L’éducatrice discute pourtant avec l’homme, et ils aboutissent à une sorte d’accord.

“Il y a un petit jardin là-bas derrière, dit-il. Tu peux sortir avec lui un moment si tu veux.
— C’est vrai ?” demande May en regardant tour à tour les deux adultes.

Ils hochent la tête tous les deux et l’homme ouvre la cage du chien. Kiwi sort joyeusement et suit la jeune fille jusque dans le petit jardin. Ou du moins, ça y ressemble, bien que ce ne soit qu’un petit carré d’herbe frêle et courte fermé par de hauts murs. Mais c’est déjà mieux que la cage. Une petite balle traîne sur le sol et l’adolescente la ramasse pour la lancer au chien. Celui-ci la rattrape sans difficulté et viens la ramener. Ils jouent encore ainsi un moment, jusqu’à ce que les adultes en aient marre. Kiwi retourne alors dans sa cage, et May à l’orphelinat.

Le jeune garçon ouvre les yeux en sursaut et son cœur fait un bond dans sa poitrine lorsqu’il se souvient qu’il est samedi, et qu’aujourd’hui, il pourra enfin retrouver May et aller à Bruges. Elle lui a tellement manqué pendant ces cinq jours… Chaque jour, elle semblait plus loin de lui, inaccessible. Ils n’ont pas pu s’échanger un seul mot dans l’école et ont dû attendre la fin des cours pour se voir quelques minutes. Steen n’en pouvait plus. Heureusement que c’est enfin fini. Le jeune garçon se dépêche de se préparer et de sortir du petit appartement.
Les nuages noirs s'amoncellent dans le ciel. L’atmosphère est électrique mais le vent est gelé. Steen rabat sa capuche sur sa tête pour avoir un peu moins froid. Mais les rafales ne cessent de lui enlever, alors il abandonne et laisse le vent se prendre dans ses cheveux et dans son cou. Grelottant, il arrive à l’arrêt de bus, et attend dix bonnes minutes avant de voir le véhicule arriver. La température à l’intérieur réchauffe Steen doucement, mais le bus s’arrête à nouveau, quelques arrêts plus tard, pour lâcher l’adolescent près du centre où May habite maintenant. Il envoie un message pour annoncer son arrivée en espérant qu’elle n’ait pas de problèmes pour sortir.

“J’arrive :D”

En effet, May prend une veste chaude et rejoint Steen dans le froid, juste une minute plus tard.

“Salut ! On va en voiture alors ?
— Oui, ma sœur nous emmène !”

Les deux adolescents retournent vers l’arrêt, et Steen appréhende un peu la rencontre entre May et Anja. Après leurs conneries, il n’est pas certain que sa sœur soit ravie de les emmener à Bruges. Ensemble, ils descendent et marchent dans les rues, jusqu’en bas de l’immeuble où habite Anja. La jeune femme attend déjà. En remarquant les deux jeunes, elle va à leur rencontre, fait la bise à son frère, puis à May.

“Prêts ? lance-t-elle.
— Ouais.”

Elle les emmène dans le garage en sous-sol où est garée sa petite Twingo bleue, et invite les enfants à monter. Steen s’installe à l’arrière, avec May, pour discuter librement sans que sa sœur ne puisse les entendre, et Anja démarre. Lentement, la voiture remonte dans la rue, et s’engage sur la route menant à Bruges. Par la fenêtre, le jeune garçon voit le paysage défiler. Le ciel est sombre et le froid mordant, on sent l’hiver qui approche.

“On va enfin savoir… murmure Steen.
— Oui. J’espère…” répond May sur le même ton.

Peut-être que cet homme leur dira simplement qu’il est bien le dernier survivant, et puis ce sera tout. La jeune fille espère qu’il leur en apprendra plus. Ce serait tellement dommage, d’avoir fait un tel chemin pour une réponse si bête. May pose son coude sur le bord de la portière, et sa tête sur sa main. La voiture s’engage sur l’autoroute, des champs et des bois défilent autour des larges bandes de bitume. L’adolescente n’ose pas discuter avec Steen comme d’habitude, sachant que sa sœur entend tout. Même des petites choses futiles, si elle veut en parler à son petit copain ce n’est pas pour que tout le monde le sache. Anja est concentrée sur la route, mais elle n’est pas sourde. Alors May se tait.

Steen reconnaît Bruges avec le fleuve qui coule, avant même de voir le panneau qui indique la ville. Excité, il ne peut plus décrocher son regard de la berge. Ils vont bientôt arriver, ils seront chez Dirk d’une minute à l’autre et le jeune garçon prépare silencieusement ce qu’il va pouvoir lui dire.
“Bonjour, on voulait savoir si vous êtes le survivant d’un crash d’avion…”
Steen prie pour que l’homme soit chez lui et que ça ne fasse pas comme la première visite chez Maxime. Le jeune garçon se voit mal demander à sa sœur de les emmener une nouvelle fois à Bruges.

Steen a l’impression qu’Anja ne sait pas où elle va. Ils n’ont qu’une ville, une adresse, et un plan trop peu détaillé, après tout. La jeune femme tourne en rond plusieurs minutes, ce qui n’est pas pour arranger l’impatience des adolescents à l’arrière. La voiture tourne à un carrefour, Anja peste contre les autres conducteurs. Steen regarde par la vitre la ville qu’il ne connaît pas. Les maisons semblent bien plus belles qu’à Bruxelles, mais ce n’est peut-être qu’une impression. Fatigué d’attendre, l’adolescent pose sa tête sur le siège et ferme les yeux. Soudain, le cri victorieux de sa sœur le fait sursauter.

“J’ai trouvé ! On arrive bientôt !”

Steen retrouve le sourire, May relève la tête, intéressée. Ils approchent, enfin. Elle observe chaque rue, scrute chaque façade colorée. C’est une jolie ville, tout de même. Anja finit par se garer sur un parking public, et tandis qu’elle va chercher un ticket les deux adolescents descendent de la voiture. La jeune femme revient, le papier blanc à la main, en ronchonnant.

“C’est cher ce parking ! J’espère que c’est pas pour rien, hein !
— Mais non, t’inquiète,” répond gaiement Steen.

Les trois acolytes s’engagent alors dans la partie plus ancienne de la ville, complètement piétonne et parcourue de canaux. Le froid est bien présent, peu de passants déambulent dans les rues et sur les petits ponts, contrairement à Bruxelles, et May a presque l’impression qu’ils sont seuls au monde, pendant quelques instants. Il fait calme aussi, le bruit des trams et de la circulation ne parvient pas jusqu’ici. Elle qui est habituée à une grande ville bruyante et densément peuplée, c’est un beau changement. Même si c’est encore différent de la campagne.
Steen sort sa petite carte et essaye tant bien que mal de se repérer dans cet endroit inconnu. Finalement, il trouve la rue où ils se trouvent, et il commence à lire le plan aux deux filles.
May suit les indications du garçon, excitée et un peu anxieuse à la fois. Anja reste en retrait, tant qu’ils ne font pas de bêtises, elle les laisse faire. Après quelques minutes de marche, ils atteignent une petite maison typique. Un vélo, cadenassé par un rond de plastique, est posé contre le mur de briques. La jeune fille observe la façade, incapable d’appuyer sur la sonnette. C’est Steen qui ose s’avancer, et tend le doigt vers le petit bouton censé avertir de leur présence.
La porte finit par s’ouvrir dans un grincement, et un homme, blond, dans la trentaine apparaît dans l’embrasure. Il regarde tour à tour les deux adolescents, puis la jeune femme qui se tient derrière.

“Euh… Bonjour. Vous êtes Dirk Sintels ?
— Oui, vous parler Nederlands ?
— Euh… Ja.
— Wie zijn jullie ?
— Herinnert u zich de crashen van Lyon ? May, continua Steen en désignant sa copine, is een overlevend.”

La jeune fille acquiesce en entendant son nom, devinant que le garçon parle de sa présence dans l’avion. Elle ne connaît du néerlandais que ce qu’on lui a appris à l’école, c’est-à-dire assez peu. Heureusement que Steen se débrouille bien mieux qu’elle.

“Ja. Komen jullie maar binnen.”

Steen et sa copine entre dans la maison, suivis par Anja. Après un petit couloir sombre, ils débouchent sur une pièce assez vaste qui semble servir de salon. Dirk leur désigne le sofa noir où ils s’assoient, tandis que lui-même prend place dans un fauteuil verdâtre.

“Willen jullie iets drinken ?
— Nee, dank u, répond May.
— Ik ook niet, dank u.
— Een glas water, dat zal voldoende zijn”, termine Anja.

Dirk hoche la tête et va chercher un verre et une petite carafe. Il sert l’eau à la jeune femme, s’assoit à nouveau sur son fauteuil et pose les mains sur ses genoux. Il les observe quelques secondes encore, avant de reprendre la parole.

“Wat heeft jullie komen hier ?
— In feite zouden we willen weten of… U wist hoe het vliegtuig kon worden crashen. Er is helemaal niets op internet of in kranten.
— Oh…”

Le regard de Dirk change soudainement, comme si ses mauvais souvenirs l’avaient rattrapé. Sans doute se rappelle-t-il le crash, peut-être qu’il a perdu ceux qu’il aimait. Steen se sent mal de débarquer chez quelqu’un pour l’interroger sur un événement passé et douloureux. Dirk soupire et se racle la gorge avant d’expliquer.

“Alles dat men weet, is dat gaat waarschijnlijk over een zelfmoord het.”

Steen comprend le dernier mot prononcé par le flamand. Il ne peut pas croire à ça. Ce ne devait être qu’un accident, un problème technique, mais Klaas n’avait aucune raison de se suicider. Il était heureux, il avait une belle famille, ils allaient même déménager de ce petit appartement miteux. Et si c’était l’autre pilote qui avait fait chuter l’appareil ? Qui avait tué des dizaines de personnes, y compris les parents de May et son propre père ? Cette hypothèse lui semble plus probable, il ne peut tout simplement pas croire que c’était la faute de son père.
Steen secoue la tête et regarde May. Il ne sait même pas si elle a compris ce que Dirk disait. Elle a toujours été un peu moins douée que le jeune garçon en cours de néerlandais. La jeune fille regarde un peu autour d’elle, ou fixe le vide, écoutant distraitement la discussion entre les deux néerlandophones. Elle ne comprend qu’un mot sur dix, à peu près, ce qui ne l’incite pas à suivre. C’est même assez décourageant, de se dire que cela fait déjà plus que quelques années qu’elle étudie la langue à l’école, et qu’elle comprend si peu. Elle a l’impression qu’ils parlent bien trop vite, d’ailleurs. Malgré son envie de savoir ce qu’il se dit, son esprit se déconnecte de la discussion assez rapidement pour se concentrer sur d’autres choses. Les examens, par exemple. Ce n’est pas tout à fait le meilleur moment pour y réfléchir, mais ils arrivent. Dès le lendemain. Et avec tout ça, ces événements qui se sont enchaînés les uns après les autres depuis la réunion parents-professeurs avant les vacances de la Toussaint, May ne se sent absolument pas prête.
Le regard de Steen sort l’adolescente de sa peur anticipée. Mais ce n’est pas un regard rassurant. Elle se demande ce qu’il vient d’apprendre, quelle est la signification des derniers mots que le flamand a prononcé.

Anja fait un petit signe à son frère, discrètement. Ils ont les réponses qu’ils attendaient, maintenant, ils peuvent rentrer. Pourtant, Steen ne se sent pas prêt à repartir. Et si jamais les affirmations se révèlent être vraies ? L’adolescent aux cheveux noirs ne pourrait pas supporter cette vérité. Après un moment de silence, où personne ne parle, Steen demande :

“Welke piloot zou zelfmoord plegen ?
— Geen idee.
— Hum… Zeker. Dank u wel voor uw hulp, maar we moeten vertrokken,” intervient Anja.

Steen sort de ses pensées et après un au revoir au survivant du crash, les trois jeunes prennent congé. Mais Steen aurait voulu d’autres réponses. Il veut seulement savoir comment tout cela a pu arriver. Il va continuer à chercher, jusqu’à ce qu’on lui dise que c’était une erreur. Jusqu’à ce que les boîtes noires prouvent à tous qu’une commande ne marchait plus, et que son père a agi en héros durant les derniers instants de sa vie. Un peu perturbé par ce qu’il vient d’entendre de la bouche de Dirk, le jeune garçon pose ses yeux bleus sur les murs des maisons typiques de Bruges.
Dehors, le ciel est sombre. Ils n’ont pas atteint le coin de la rue que déjà une forte pluie se met à tomber. May rabat son capuchon sur sa tête et crie aux deux autres :

“On court ?”

Steen hoche la tête et les deux adolescents partent en trombe. En courant, le vent fait voler le capuchon de la jeune fille qui doit le tenir à deux mains. En arrivant au parking, ils remarquent qu’Anja est à la traîne et vont s’abriter dans un abri-bus en l’attendant.

“Je sais pas si j’y crois, murmure Steen, assez fort pour couvrir le bruit de la pluie.
— Pourquoi ton père se serait suicidé ?
— Je… Il a aucune raison de l’avoir fait. C’est sans doute le co-pilote.
— Sûrement.”

Peu à peu, la pluie se fait plus faible. Steen ferme les yeux pour tenter de tout oublier, de faire le vide dans son esprit et de se reposer un peu. Il écoute les gouttes tomber sur le sol et sur le toit de l’arrêt de bus. D’un coup, il n’a plus envie que sa sœur soit là. Il voudrait se retrouver seul avec May, mais il ne sait pas quand sera la prochaine fois qu’ils pourront être seuls tous les deux. Sans que personne ne puisse les écouter ni les juger. Juste eux deux, parler de la suite du plan, de ce qu’ils vont encore faire comme conneries, et de leur prochaine étape. Avec Anja, c’est impossible pour eux. Steen devine que la jeune fille aussi aurait préféré qu’ils soient seuls. Mais ils n’avaient pas le choix, c’était plus simple et plus rapide avec la voiture de la grande sœur.

“Bon, on va rentrer,” annonce d’ailleurs Anja.

Les deux adolescents suivent la jeune femme blonde vers le parking où est garé la voiture. Steen la repère de loin, avec sa carrosserie bleu turquoise, et ils reprennent place à l’intérieur, au sec. Épuisé, le garçon aux cheveux sombres ne dit rien, échangeant seulement des regards de temps à autre avec sa copine.

May est assise du côté gauche de la voiture, derrière la conductrice. Cette dernière a allumé la radio, qui passe une chanson sans rythme et aux paroles vides de sens. May s’ennuie, jetant un regard à son copain de temps à autre. Elle repense à ce qu’il lui a expliqué. Comme lui, elle ignore pourquoi Klaas aurait eu une raison de se suicider. Comme lui, elle ne veut pas vraiment y croire. Le père de Steen ne peut pas être comme ça, il ne peut pas avoir tué les parents de la jeune fille. C’est impensable. Elle ne pourrait pas être amoureuse du fils du meurtrier de ses parents. Si ?
May soupire. Elle ne veut pas ruminer de telles pensées. Des idées noires, il y en a eu beaucoup qui ont tourné dans sa tête depuis l’accident de sa marraine. Beaucoup trop, même. Cela suffit. Maintenant qu’elle est amoureuse, même si les deux adolescents ne peuvent se voir que trop peu souvent, May ne veut plus être triste. Elle veut chasser ce sentiment, pour laisser la place au bonheur d’être avec Steen. Même si Anja conduit devant, en sifflotant. Même si,
dès qu’ils arriveront à Bruxelles, ils seront encore séparés. Il lui reste une heure. Une petite heure, calée dans un siège de voiture à côté de Steen, sur une route qui se fait glissante à cause de la pluie.



Chapitre vingt-sept


Steen n’a aucune idée de comment prouver que c’est en réalité le co-pilote qui s’est suicidé, tuant avec lui des dizaines de personnes. Il refuse de croire que son père ait pu faire une chose pareille. Seul dans sa chambre, le jeune garçon rumine ses pensées et les événements récents. En quelques semaines, toute sa vie a basculé. D’abord May, puis Lyon, puis… Tout ça. C’est un peu trop d’un coup. L’adolescent ignore encore comment il va réussir à trouver de nouveaux indices ; il lui semble qu’il a déjà joué toutes les cartes qui étaient dans sa main. Et puis les examens commencent dès lundi, c’est à dire demain. Et Steen n’a même pas révisé.
D’habitude, il n’a pas vraiment besoin de réviser, sa présence en classe lui suffit à se souvenir. Il n’a qu’à écouter, et son esprit mémorise bien les leçons. Mais ces derniers temps, il n’était pas concentré du tout à l’école. Un peu perdu au fond de la classe, il n’écoutait pas, songeant seulement à leur prochaine aventure, à May et lui. Résultat, il lui manque quelques leçons de ses moments d’absence bien mérités, et certains chapitres ne lui disent pour ainsi dire, rien du tout. Un peu en panique, il commence à ouvrir un livre, et essaye tant bien que mal de réviser.
Mais il repense à sa journée à Bruges, à ce que Dirk a dit, et la seule chose qu’il peut mémoriser, ce sont les mots en néerlandais qu’il a entendus aujourd’hui. La voix de sa mère l’interrompt dans ses révisions.

“Steen, tu viens manger un peu ?”

L’adolescent soupire. Il n’a pas très faim ce soir, comme depuis ce dernier mois. Pourtant, il se lève et suit sa mère dans la petite cuisine. Qu’il soit devant son bureau ou devant son assiette, il ne révisera pas plus. Ses pieds se balancent sous la table tandis qu’il se force à avaler le contenu de son assiette.

“Alors, qu’est-ce que vous avez fait avec Anja ?
— On a surtout discuté, répond Steen assez froidement.
— Ah bon ? Et de quoi ?”

Steen se demande pourquoi sa mère se montre aussi curieuse. Est-elle au courant qu’il n’est pas resté sagement chez Anja ? Qu’ils ont fait une virée à Bruges, accompagnés de May ? Non, elle ne semble pas être sortie de la journée. Pourtant, l’adolescent ne se sent pas à l’aise. Il termine d’avaler ce qu’il a dans la bouche, mâchant lentement, pour pouvoir rétorquer à sa mère :

“Je suis pas sûr que tu veuilles le savoir.
— Encore votre père ?
— Ouais. Comme tu veux rien nous dire…”

Le silence de sa mère lui donne raison ; elle ne tient pas à révéler ce qu’elle sait.

“Tu sais, Steen, parfois il vaut mieux que certaines choses appartenant au passé restent dans le passé.
— Pas ce genre de choses.”

Le jeune garçon quitte la table. Il n’a plus rien à dire à sa mère. Avant de se mettre au lit, il relit une dernière fois ses leçons pour le lendemain, essayant de retenir le plus d’informations possible. Il finit par poser ses livres, ferme les volets en jetant un dernier coup d’œil par la fenêtre. Lorsqu’il éteint la lumière, la voix de Maxime se mêle à l’épitaphe de la tombe.
Il ne faut jamais perdre espoir.
Maxime doit savoir quelque chose. Steen ne peut pas retourner chez lui, mais il pourra l’appeler.
Demain, se promet-il. Et s’il doit le harceler pour qu’il obtienne ce qu’il veut, alors il le fera. Cette fois, il en a marre.

La première chose à laquelle pense May en se réveillant c’est : Oh non, il y a examen. Elle se retourne, plonge la tête dans son oreiller avant de bouger à nouveau et d’essayer de se rendormir. Heureusement, son réveil sonne encore cinq minutes plus tard, et avec un grognement peu gracieux, la jeune fille écarte la couverture et pose les pieds sur le sol froid. Elle se prépare avec une bonne dose de mauvaise volonté et manque de peu de rater son bus. À l’intérieur de celui-ci, elle relit une feuille de cours, et voit qu’elle n’est pas la seule. Plusieurs jeunes ont l’air stressé et un cahier dans les mains. Le fond sonore est d’ailleurs bien plus bas que d’habitude, puisque certaines discussions se sont muées en révisions de dernière minute.
May descend du bus et court rejoindre Steen un peu plus loin. Malgré ses points en général plus élevés que les siens, la jeune fille devine à son regard que lui non plus n’est pas sûr de connaître la matière du jour.

“Salut !
— Salut ! Je stresse, j’ai pas révisé…
— Tu vas y arriver,” le rassure May.

Il espère qu’elle a raison, et lui sourit en prenant sa main froide dans la sienne. Il faut déjà y aller, et les deux adolescents se séparent pour passer leurs examens.

May ressort de la salle presque plus stressée qu’avant. Elle a l’impression d’avoir répondu n’importe quoi, quand elle a répondu. Elle espère que ça passera. Plus ou moins. Mais elle n’est sûre de rien. À la grille, c’est à son tour d’attendre son copain, mais le garçon ne tarde pas à arriver. À cet instant, le ventre de la jeune fille commence à gargouiller. Il est vrai qu’il est passé midi et que son petit-déjeuner remonte déjà. Et puis, réfléchir, ça creuse.

“Alors, ça a été ? On va manger ensemble ?
— Euh… À peu près. Et toi ? fait Steen en hochant la tête.
— Euh… J’pense pas trop. Mais c’est pas grave, et puis on verra.”

La jeune fille est moins à l’aise qu’elle ne veut le faire croire, mais elle ne veut pas que son copain se sente encore coupable. Ils ont décidé ensemble de partir à Bruges la veille, et elle n’avait qu’à étudier avant. Même avec leurs sorties en douce, elle aurait eu tout le temps.
Les deux adolescents prennent alors le chemin d’une sandwicherie proche de leur école pour profiter du peu de temps qu’ils peuvent passer ensemble.

“Je t’invite ? propose le jeune garçon.
— Je peux payer un sandwich !” répond May en riant.

Souriants, les deux jeunes vont s’acheter des sandwiches et une boisson, puis vont s’asseoir sur un banc. Malgré le froid, ils mangent dehors, en discutant de tout et de rien et riant. Après leur repas, comme il leur reste un peu de temps, Steen passe son bras autour des épaules de sa copine. Celle-ci se blottit contre lui et l’adolescent se sent bien, comme si tous ses problèmes s’étaient envolés. Il a l’impression que son cœur n’a jamais battu aussi vite que lorsque leurs regards se croisent.
May voudrait que cet instant ne finisse jamais, et pourtant son cœur bat trop vite. Elle a un peu peur, en réalité. Sa tête posée sur la poitrine du garçon, elle écoute le sien battre rapidement lui aussi tandis que ses pensées s’emballent. Que ressent-elle pour lui, finalement ?
Soudain le jeune garçon approche sa tête de la sienne. Elle ne bouge pas. C’est la première fois qu’il l’embrasse, et en posant ses lèvres sur celles de l’adolescente, il se rend compte que c’est la première fois qu’il embrasse quelqu’un. Il finit par se reculer un peu, et se demande si May ne va pas le prendre pour un fou. C’était si soudain, même lui ne s’attendait pas à faire ça.
Elle le regarde dans les yeux. Il l’a surprise, mais elle ne lui en veut pas. C’était agréable, finalement. Et ils s’aiment. S’embrasser, c’est ce que font les gens quand ils s’aiment, non ?

Les deux adolescents restent encore serrés l’un contre l’autre un moment, profitant du bonheur d’être à deux. Le temps passe trop vite pour une fois. Beaucoup trop vite. Déjà May se rend compte qu’il est l’heure de rentrer. Elle se détache de Steen, le regarde attentivement. Elle ne veut pas partir.

“Je… Faut qu’j’y aille, lâche-t-elle finalement d’un ton triste.
— Déjà ? Oh… Ah oui,” fait Steen en regardant l’heure.

May s’excuse, puis s’éclipse. Elle réajuste son sac sur son épaule et, avec un dernier regard en arrière, prend le chemin du centre. Elle n’était plus très loin et rentre à pied. Elle a l’impression de flotter sur un petit nuage. Elle repense à ce baiser, aux battements du cœur de Steen tout contre son oreille, à son odeur, son visage… Oui, elle l’aime. Elle l’aime vraiment. Et cette certitude la met de tellement bonne humeur qu’elle sifflote seule dans la rue. Elle sourit à tout le monde, les gens l’observent d’un air amusé. Même au centre, les adultes gardent ce petit sourire en coin en la voyant. Contrairement aux autres jeunes qui la regardent bizarrement, pour certains. La jeune fille s’en fiche. Personne ne peut effacer ce qu’il vient de se passer, et rien ne pourra gâcher ça. Même pas l’idée que les examens se poursuivent le lendemain.

Le jeune garçon entre chez lui. C’est largement l’heure, mais il sait qu’il pourra dire à sa mère qu’il travaillait à l’école pour les examens. Elle ne devrait pas avoir beaucoup de mal à y croire, puisqu’elle pense que son fils est travailleur. Sa mère ne fait pas attention à lui, et Steen a bien l’impression que l’époque des conneries est révolue. Presque tout est revenu à la normale. Il n’y a plus que quelques mauvais souvenirs.

“Salut !”

Sans attendre de réponse, Steen s’enferme dans sa chambre. Il hésite maintenant. Il a pensé toute la journée à appeler Maxime, pour ne pas oublier, et maintenant qu’il est devant son gsm, prêt à taper le numéro, il hésite. Que doit-il demander ? Et si sa mère entre dans sa chambre sans prévenir, et qu’elle entend tout ? Il n’est plus à ça près. Le numéro est enregistré dans les contacts de l’adolescent, et il n’a qu’à appuyer sur la touche pour que l’appel se déclenche. Il retient son souffle tandis que les bips se font entendre de l’autre côté. Et si sa mère l’entend parler seul, elle comprendra qu’il appelle quelqu’un. Il ne veut pas se faire confisquer son gsm une fois de plus.

“Allô ?”

Steen s’éloigne de sa porte, comme si les sons allaient disparaître entre le bout de sa chambre et la porte. Le cœur battant, il répond en tentant de maîtriser les tremblements dans sa voix.

“Euh… Monsieur Buyle ? C’est Steen Van Doorn.
— Ah ! Comment vas-tu Steen ?
— Je vais bien et vous ?”

Maxime semble fatigué, mais Steen ne fait aucune remarque. Il attend le bon moment pour poser ses questions.

“Maxime, vous connaissiez bien mon père ?
— On était collègue.
— Est-ce que vous savez s’il s’est suicidé ?”

Il y a un silence de quelques secondes durant lesquelles Steen peut entendre des voix derrière son interlocuteur.

“Qui t’a dit ça ?
— Peu importe. Est-ce que c’est vrai ?
— Peut-être.
— Vous savez ! s’indigne le garçon en haussant un peu le ton.
— Écoute, Steen, tu pourrais passer à la maison ? Il y a des choses que nous devons te dire.
— Nous ?”

Maxime marmonne quelque chose que Steen ne comprend pas, mais sans doute n’était-ce pas destiné à lui.

“Samedi, tu es libre ? C’est assez important. Et viens avec ta sœur.
— Euh… D’accord.”

La porte s’ouvre violemment, et la mère du jeune garçon passe la tête.

“À qui tu parles ?”

Surpris, Steen sursaute et raccroche sans pouvoir ajouter quoi que ce soit. Il rappellera pour s’excuser. L’adolescent lève un regard innocent vers sa mère.

“Personne.
— Je ne te crois pas. Alors, qui ?
— Ça va, c’était juste un copain. Mohamed. On discutait des examens.
— Ce ne serait pas May, plutôt ?
— Non,” affirme le jeune garçon.

Au moins, il ne ment pas complètement. S’il n’était pas avec Mohamed au téléphone, il n’était pas non plus avec May, même s’il la mettra au courant de tout ce qu’a dit Maxime. Peut-être qu’elle devrait venir, elle aussi, samedi prochain ? Il lui demandera si elle veut bien.

“D’ailleurs, comment se sont passés tes exams aujourd’hui ?
— Bien, bien.”

La femme hoche la tête, fière de son fils, et s’en va pour le laisser réviser un peu. Steen fait mine de prendre un cahier et de s’installer à son bureau, mais dès que sa mère a le dos tourné, il reprend son gsm pour envoyer un sms à May.

“Maxime veut nous voir samedi prochain, avec ma sœur.”

May révise un peu, tout en gardant à l’esprit ce moment magique à midi. Mais elle ne veut pas ressentir la même détresse devant sa feuille le lendemain. Elle est plus motivée que la veille, d’ailleurs. Elle essaie de comprendre les passages de cours où elle n’a pas écouté mais certains concepts lui paraissent encore trop étranges. Pourquoi n’a-t-elle donc pas écouté avant ? La jeune fille chipote à ses cheveux tout en griffonnant sur une feuille de brouillon des calculs les uns après les autres. Elle compare, ne trouve pas la réponse, râle et soupire. Son gsm vibre, l’arrachant à son occupation frustrante. Samedi prochain… Ils n’ont qu’une semaine d’examens, au moins ça ne posera pas de problème à ce niveau-là. Oh et puis qu’importe, si c’est une occasion pour voir Steen tout lui va. May répond rapidement un “Ok, j’me débrouillerai et je viendrai ;)” puis se lève pour aller chercher un petit quelque chose à grignoter, quelque part. Les pensionnaires ne sont pourtant pas censés manger ainsi entre les repas et l’adolescente ne trouve rien à se mettre sous la dent, ce qui la frustre encore plus. Elle retourne alors à son étude en soupirant. Mais avant, elle envoie encore un sms à son copain :

“J’en ai déjà marre d’étudier… Toi ça va ? <3”

Steen n’arrive pas à relire ses leçons, surtout avec son gsm qui vibre à côté de lui.

“Ça va, je vais sûrement rater mes exams, mais c’est pas grave.”

Et c’est vrai que par rapport à tout ce qu’il s’est passé, rater ses examens est bien la dernière chose à laquelle il songe. De toute façon, il n’a pas écouté en cours, et ce n’est pas maintenant qu’il va s’y mettre.

“Oh bon bah je te laisse étudier alors. À demain.”

C’est un peu paranoïaque comme réaction, mais May a soudain l’impression que le sms de son petit ami était un reproche. Après tout, c’est sa faute. Depuis le début, c’est de sa faute. Tout ce qui leur arrive, le bouleversement dans leur petite existence, c’est sa faute. Et Steen a peut-être raison de le souligner, finalement. Mais elle a réagi trop vite. Ce midi, c’était quoi sinon une preuve de son amour ? Pourquoi s’inquiète-t-elle comme ça ? Elle s’en veut déjà, encore une fois. Elle est décidément trop impulsive. Elle envoie un second sms :

“Désolée j’voulais pas te vexer…”

“T’inquiète, c’est pas ta faute.”

Tout ira mieux la semaine prochaine, après les examens. La pression est trop importante pour le moment, avec les jours qui s’enchaînent, et les mystères qui pèsent toujours sur eux, mais c’est bientôt terminé. Une fois que les vacances arriveront, et que Maxime leur aura tout dévoilé, Steen sera enfin en paix avec lui-même.

May est en avance. Elle est stressée pourtant, l’examen qui débute dans quelques minutes lui fait peur. Elle ne sait pas trop si elle connaît, ou pas, et elle a assez mal dormi, ce qui ne l’aide pas à se calmer et avoir un peu plus confiance en elle. Elle fait les cent pas devant la grille de l’école en attendant Steen. Les autres élèves passent à côté sans même un regard, la jeune fille aperçoit Aisha et Lisa qui discutent sans la remarquer. Elle ressent un petit pincement au cœur en les apercevant ainsi, joyeuses, bras dessus, bras dessous. Mais l’époque où elle était avec elles semble définitivement révolue. Enfin, son copain arrive, et un sourire pincé prend place sur le visage de May.

“Salut ! Ça va ? demande le jeune garçon en s’arrêtant près de May.
— Ça ira mieux après je crois…
— Après les exams ? Je crois aussi. Et après qu’on soit passé chez Maxime aussi…
— Ouais. Les vacances, ça ne sera pas de refus.”

Enfin pouvoir se reposer, ça pourrait être utile. Et ils pourraient passer plus de temps ensemble… Si Steen arrive à sortir, c’est vrai. Et ça n’est pas vraiment gagné d’avance.

“En plus, c’est bientôt ton anniv’ non ?
— Ah ouais, comment tu sais ça toi ?
— Eh, t’es ma meuf quand même !” rétorque-t-il sur le ton de la plaisanterie.

May fait la moue. Elle n’aime pas trop l’expression de Steen, mais ne dit rien.

“Je me demande ce que Maxime va nous apprendre, songe Steen tout haut.
— Encore Maxime… J’ai autre chose en tête là, figure-toi.
— Oh ça va !”


Steen ne comprend pas pourquoi May réagit aussi violemment. Il recule de quelques pas, pour mettre un peu de distance entre lui et sa copine. Peut-être qu’ils ne devraient pas rester l’un avec l’autre tout le temps. Un peu de distance de temps en temps ne peut pas leur faire de mal.
La cloche sonne, empêchant les deux adolescents de dire d’autres mots qu’ils regretteront. Ils se séparent, May presse le pas vers le local où a lieu leur examen de mathématiques. Ça allait si bien entre eux deux, hier, pourquoi a-t-elle crié maintenant ? L’état d’esprit peut faire beaucoup trop de choses étranges. La jeune fille est soudain bousculée par un autre élève encore plus pressé. Elle râle, puis se dépêche à son tour.
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Kayl




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Mayday ~ il faut 10 caractères - Page 2 Empty
MessageSujet: Re: Mayday ~ il faut 10 caractères   Mayday ~ il faut 10 caractères - Page 2 EmptyDim 21 Aoû - 16:09

Chapitre vingt-huit


Le premier examen de la journée achevé, tous les élèves sortent dans la cour, joyeux de pouvoir se défouler un peu malgré le froid. C’est aussi l’occasion pour certains de ressortir l’une ou l’autre feuille pour revoir une dernière fois, même s’ils savent que cela ne vaut plus trop la peine. May est retournée s’asseoir seule dans son coin de cour presque “personnel”, désormais, lorsqu'elle voit Mohamed arriver vers elle.

“Salut May.
— Salut.
— Dis, euh, j’ai vu Steen hier, et il m’a dit de te dire que c’était fini… Qu’il pensait t’aimer mais qu’il s’était rendu compte que c’était pas vrai. ”

La jeune fille regarde le garçon, puis le sol, puis le garçon à nouveau. Elle secoue la tête.
“Je te crois pas, proteste-t-elle d’une petite voix. Et puis d’abord, depuis quand vous vous voyez, et depuis quand t’es son ami ?
— Il m’aide en maths depuis un moment, on a révisé ensemble hier. Il avait l’air sincère, tu sais.
— Non, non, je te crois pas. On s’est encore parlé ce matin.
— Et il t’a pas paru… Distant ?” rétorque le jeune garçon.

C’est vrai qu’ils étaient sur le point de se crier dessus avant que la cloche ne sonne, ce matin, mais serait-ce vraiment pour ça ? May ne veut pas l’imaginer. Non, c’est impossible. Et hier, il en fait quoi ?

“Un peu… Mais non c’est pas possible ! Il est pas comme ça !”

Sa voix monte dans les aigus, se fait plus forte et accusatrice, en même temps que les larmes affluent. Elle ne veut pas le croire. Elle ne peut pas le croire. Mais Mohamed en rajoute encore.
“Tu le connais pas vraiment, en fait. Je pense pas qu’il voulait te faire du mal, mais c’est la vérité.”
Encore un sanglot, cette impression de lame qui lui déchire le cœur. Ce bonheur de la veille qui s’envole, cette peine horrible qui s’installe à la place. Puis encore deux mots, cinq mots. Cinq mots assassins.

“Oublie-le, ça vaut mieux.”

Le garçon ne s'éclipse pas après avoir délivré son message comme elle aurait pu le penser. Au contraire, il reste auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle se calme et que les larmes cessent de couler. Mais elle ne veut pas de lui. Le seul qu'elle aime, c'est Steen. Personne ne le remplacera, même si ce que Mohamed lui a appris est la vérité. Il n'y a que l’adolescent aux yeux bruns dans son esprit, et personne d'autre. Excepté ses parents, c'est vrai. Mais ce n'est pas pareil. Eux, ils sont morts. Ils l'ont abandonnée depuis longtemps en quelque sorte. Elle ne sait même plus à quoi ils ressemblent, c'est dire.
Et puis, on ne ressent pas la même chose pour ses parents que pour un garçon. Ses parents, c'est juste une affection un peu curieuse, une envie de les connaître parce qu'ils l'ont engendrées, et parce que tout le monde a des parents. Elle, elle n'en a pas. Elle se démarque à cause de ça. Alors elle veut savoir qui ils étaient pour être moins différente. Pouvoir faire “comme si”.

En classe, pour passer son second examen de la journée, May s’assoit au premier rang, loin de Steen. Elle ne veut plus le voir. Elle ne peut pas se dire qu’il est comme ça, mais son esprit lui dicte de se rendre à l’évidence. Mohamed a raison, elle ne le connaît pas si bien que ça. C’est à peine si elle savait qu’il existait, il y a un mois et demi...

Steen ne se demande pas pourquoi May est si loin. De toute façon, qu’elle soit à un mètre ou dix, ça ne change rien. Ils ne peuvent même pas se regarder, et encore moins se parler. Quand cette punition sera-t-elle levée ? Il a envie de manger avec elle, de rire dans la cour à ses côtés, et chaque fois qu’il songe à cela, il ressent un pincement au cœur. Il attend la fin des examens, seul moment où il peut échanger quelques mots de vive voix avec elle.
Lorsque la sonnerie les libère enfin, Steen se hâte de ranger ses affaires, et il devance May pour l’attendre devant l’école, près de son arrêt de bus. C’est là qu’ils peuvent parler quelques minutes d’habitude. L’adolescent piétine sur place pour ne pas laisser le froid pénétrer ses vêtements, et il remarque sa copine qui passe juste devant lui.

“May ?” interpelle-t-il.

Mais la jeune fille ne l’a sans doute ni vu ni entendu, car elle se joint à la foule près de l’arrêt de bus. Un peu désappointé, Steen secoue la tête, et se retourne pour rentrer. Il lui enverra un message plus tard. Il croise le regard de Mohamed, qui traverse une route, mais prend la direction de chez lui sans faire attention aux autres.
Une fois dans sa chambre, assis au chaud sur son lit, il prend son gsm. Pas de messages de May. Elle avait peut-être quelque chose à faire après tout. Steen aurait préféré être informé, mais ce n’est pas grave. Il hésite sur ce qu’il pourrait lui envoyer, et finit par taper :

“Salut ! On a pas pu parler aujourd'hui…”

May lit le message, presque avec dégoût. Comment peut-il encore écrire un truc pareil ? C’est lui qui a envoyé Mohamed parler à sa place ! Elle ne veut même pas d’explication. S’il a été trop lâche pour venir le lui déclarer en face, qu’il les garde pour lui. La jeune fille se dit qu’elle s’en fiche de savoir, mais elle sait qu’elle se ment à elle-même. Tant pis, elle ne lui fera pas la faveur de lui demander. Elle lui répond plutôt :

“Bah t’avais qu’à venir toi-même.”

Steen est surpris en lisant ce sms. Qu’est-ce qu’elle a ? Pourquoi semble-t-elle plus lointaine ? Il se demande s’il a fait ou dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû, mais ne trouve pas. Peut-être qu’il ne s’est pas rendu compte. Il hésite longuement avant de lui répondre.

“Je t’ai attendue à la sortie, mais t’es pas venue.”

Cette fois, l’adolescente ne répond même pas. À quoi bon, sinon se faire plus de mal ? Elle sort ses cours, pour étudier, mais la matière a du mal à se fixer. Retenir quelque chose lui est presque impossible, et elle abandonne rapidement. Tant pis. Si il faut, elle se rattrapera en juin. Mais là, elle a autre chose en tête que ses examens.

Steen attend une réponse, mais rien pendant plusieurs longues minutes. Finalement, il soupire, et il se dit qu’elle devait sans doute réviser. Elle ne doit pas rater ses examens par sa faute. Au moins, après tout ça, ils seront en paix et en vacances. En plus, l’anniversaire de May arrive bientôt. Steen songe à un cadeau qu’il pourrait lui offrir, mais se voit mal acheter deux cadeaux, pour son anniversaire, puis Noël. Il maudit celui qui a créé Noël à cette époque de l’année. Heureusement qu’il lui reste quelques maigres économies.
Cependant, il ne comprend pas l’attitude froide de May à son égard. C’est peut-être simplement le fait de discuter en sms. Il a seulement cette impression, mais sans le ton de la voix, il ne peut pas savoir réellement. Après avoir passé un peu de temps à relire ses cours, le jeune garçon fait irruption dans la cuisine, souriant, pour aider sa mère à mettre la table et à préparer le repas.

“Ça a l’air de bien se passer, tes exams, non ?
— Ouais, franchement ça va.
— C’est bien.”

Steen hoche la tête, sans faire part de ses doutes ni de ses inquiétudes. S’il est heureux, c’est surtout grâce à May, et non à la réussite de ses exams. Peut-être qu’elle l’évite juste depuis leur courte dispute. Mais ça va bientôt redevenir comme avant, il en est certain. Il ira s’excuser demain, après les examens.

En arrivant à l’école ce mercredi matin, May rejoint directement le local où elle sera évaluée. Elle a l’impression que quelqu’un a pris son front pour un tambour, probablement à cause d’avoir autant pleuré la veille. Oui, elle l’aime vraiment. Et elle lui en veut, c’est certain. Devant la classe, où d’autres adolescents discutent et se saluent, elle attend avec impatience de pouvoir entrer et remplir les quelques questions auxquelles elle pourra répondre, afin de pouvoir partir plus vite, ensuite. Elle n’a aucune raison de rester ici et ne veux donc pas s’attarder. Et, moins de temps elle passe ici, moins de chance elle a de croiser Steen, ce qui l’arrange assez.

Pendant deux jours, May arrive ainsi à ne pas croiser le garçon. Elle arrive juste à l'heure le matin, en se dépêchant d'atteindre sa classe, puis repart dès sa feuille rendue ensuite. Et jusqu'à ce jeudi, ça a fonctionné. Mais à la fin de cet examen de néerlandais, l'adolescent a fini plus tôt qu'elle. Lorsque la jeune fille sort de la salle, elle l'aperçoit qui l'attend et essaie de partir en l'ignorant.

“May, attends !
— J'veux plus te voir, Steen”, dit-elle avant de continuer son chemin, des larmes dans la voix.

Mais le garçon n'abandonne pas pour autant. Après un très court instant de stupéfaction, il rattrape May dehors et prend son bras pour l'empêcher de partir.

“Lâche-moi !
— Non, j'veux d'abord savoir c'que...
— Oui, lâche-la Steen, intervient Mohamed qui arrive justement derrière eux.
— Te mêle pas de ça, toi. Qu'est-ce qu'il se passe May, bon sang !
— T'as dit... Qu'tu m'aimes pas…” hoquette la jeune fille.

Steen reste interloqué. Il relâche May, qui ne cherche plus à partir, et la regarde de ses yeux amoureux. Il n'hésite plus. Il la serre dans ses bras et l'embrasse.

“Bien sûr que je t'aime. Qui a prétendu le contraire ?”

Puis il lance un regard noir et rageur à Mohamed, resté en spectateur.

“C'est toi qui lui a dit ça, j'me trompe ?
— Euh... Je…”

Voyant l'air menaçant du garçon aux yeux bleus, Mohamed recule de quelques pas. Il ne tient pas à finir à l'hôpital comme les deux autres qui ont eu l'audace de provoquer Steen. Les muscles du jeune garçon aux cheveux sombres se crispent, et son poing se lève à hauteur de la tête de son camarade. Son bras s’immobilise durant quelques secondes, tremblant, mais il ne frappe pas. Finalement, il lui lance un regard de glace en serrant les dents, pour l’inciter à partir. Ce qui semble fonctionner, puisque Mohamed finit par baisser les yeux et s’en aller d’un pas vif, sans se retourner.
Steen prend alors conscience qu’ils ne sont pas tous seuls. En effet, quelques autres élèves, qui sont sortis eux aussi des examens, se sont approchés pour écouter la dispute, curieux. Un peu gêné, l’adolescent détourne le regard en rougissant.

“Euh… On s’éloigne ? propose le jeune garçon.
— Oui on s’en va”, acquiesce May.

Les deux jeunes se frayent un chemin parmi les autres élèves qui sortent des examens. Steen n’a pas lâché la main de sa copine et l’entraîne hors de l’école, où ils seront plus tranquilles. Peu à peu, leurs camarades se dispersent et rentrent chez eux. L’adolescent est heureux d’avoir retrouvé May, et il espère qu’ils ne s’embrouilleront plus à cause des autres. Tout ça à cause de Mohamed, qui est jaloux du garçon aux yeux bleus.

“Oh non… murmure Steen. C’est déjà tard.”

Il n’a aucune envie de partir maintenant. Il se sent si bien, avec May dans ses bras, ignorant le monde entier. Pourtant, s’il ne respecte pas les horaires, sa mère ne le laissera plus seul et il devra une nouvelle fois l’avoir sur le dos… Et cette période lui rappelle de mauvais souvenirs. L’adolescent soupire et lentement, il détache son regard de sa copine.

“Je m’excuse d’avoir douté de toi. Je t’aime, Steen, dit-elle en l’embrassant encore une fois.
— Moi aussi je t’aime. On se revoit demain de toute façon.
— Oui, demain...”

Steen embrasse une dernière fois sa copine avant de lui lâcher la main. Il met un temps fou à partir. Il se retourne régulièrement pour faire un signe de la main à la jeune fille, qui reste plantée là bêtement en le regardant partir, et chaque pas qui l’éloigne d’elle semble un peu plus difficile à faire. Finalement, il entre dans le bus et attend d’être arrivé chez lui pour pouvoir discuter par sms avec May.
Le jeune garçon se sent beaucoup mieux maintenant qu’il sait pourquoi May l’ignorait, et que tout est réglé. Le cœur léger, il entre dans sa chambre et pose son sac par terre. Il ne reste plus qu’un jour d’examen, et l’adolescent sera libéré de toute cette pression. Il s’assoit sur son lit en souriant bêtement. Mais le sourire mauvais de Mohamed lui revient à l’esprit. Son camarade, qui s’était rapproché de lui au début de l’année, ne voulait pas être son ami, contrairement à ce que Steen pensait. D’un autre côté, personne n’aurait pu deviner la tournure qu’allaient prendre les événements, ni que May tomberait amoureuse du garçon aux yeux bleus.
Celui-ci sort de son état de semi-conscience pour ouvrir son livre et réviser un peu pour le lendemain. Après tout, c’est le dernier examen, et il ne doit pas le rater s’il veut conserver sa bonne moyenne et ses appréciations valorisantes. Faisant le vide dans son esprit, le reste ne devient plus qu’abstraction, et en relisant le cours à haute voix, il parvient à apprendre et à retenir la leçon. Mais l’heure de manger arrive, et sa mère ne le laisse pas terminer sa lecture et l’appelle pour le souper.

“Steen ? Tu viens à table s’il te plaît ?”

Le jeune garçon soupire et referme le livre. Il a l’impression que les soirées sont toutes identiques aux précédentes. La seule chose qui change, c’est son état d’âme ; si la veille il était démoralisé et un peu perdu, aujourd’hui tout allait bien mieux.

“Ne me dis pas que tu révises seulement maintenant !
— Mais non maman, je relis juste.
— On a déjà parlé de ça, tu le sais bien. Réviser la veille ne sert à rien.”

Steen lève les yeux au ciel en laissant sa mère lui rappeler ce qu’elle lui a déjà répété des dizaines de fois. Il écoute d’une oreille distraite en avalant son repas rapidement. Mais lorsque la femme évoque May, l’adolescent manque de s’étouffer.

“Tu la vois encore ?
— Oui, affirme Steen, décidant de ne pas mentir à sa mère. C’est mon amie.
— Tant que vous ne faites pas de bêtises…”

Steen est surpris par la réaction de sa mère, mais il ne dit rien et termine son verre d’eau en silence. Dans deux jours, tout sera terminé. Du moins, le jeune garçon l’espère. Il bouillonne d’impatience, mais il doit encore attendre. Pour ne plus y songer, il décide de passer un moment devant la télé, son gsm dans sa poche, pour au cas où May voudrait lui parler.

May chantonne sur le chemin du retour, tout en serrant ses bras autour d’elle pour diminuer la perte de chaleur. Finalement, sa première impression était la bonne. Elle se trouve bête d’avoir si bien cru Mohamed. Rien qu’en pensant à lui, son front se ride et ses yeux se plisse sous le coup de la colère. Comment a-t-il osé les séparer ? Les adultes le faisaient déjà assez bien seuls...
La jeune fille cesse d’y penser. Elle ne veut pas gâcher ce beau début d’après-midi. Elle sent encore les lèvres de Steen sur les siennes, et s’accroche à cette sensation le plus possible. Elle ne veut pas rentrer. Juste rester avec lui. Pourtant, une trentaine de minutes plus tard, elle pousse la porte du centre. Après avoir rejoint la petite pièce qui lui sert de chambre, elle s’assoit même confortablement pour travailler. Elle ne retiendra pas grand-chose en étudiant la veille, mais c’est presque juste pour se donner bonne conscience.
Soudainement, sans savoir pourquoi, l’adolescente repense au samedi. Il était prévu qu’ils aillent voir Maxime
ensemble, pour avoir enfin de véritables réponses. Mais peut-être qu’avec leur dispute, Steen a changé ses plans. Interrompant son travail, May attrape son gsm et s’en assure d’un sms :

“Au fait samedi on va toujours voir ton Maxime ?”

Steen sursaute lorsque son gsm vibre dans sa poche. Il le sort rapidement et lit le message, un peu surpris, mais heureux que May veuille toujours venir avec lui.

“C’est toujours prévu, en espérant que ce soit la dernière fois…”

Ce qui voudrait dire que tout serait terminé, et qu’ils auraient enfin compris toute l’histoire. L’attente est encore longue, et Steen a l’impression que cette histoire les consume peu à peu.

“J’espère aussi, j’en ai marre de tous ces secrets.”

May soupire en y repensant. Elle voudrait pouvoir être en paix avec Steen, et ne plus devoir se soucier de tout ça. C’est trop lourd, trop dur. Presque au point de regretter d’avoir voulu savoir. La jeune fille chasse les regrets, les remords, elle n’en veut pas. Elle essaie de mettre le tout de côté et discute encore avec son copain une bonne partie de la soirée.

Le lendemain matin, les deux amoureux se retrouvent tôt devant l’école, comme quelques jours auparavant. Steen sent que la journée va encore être longue. Il compte les heures qui défilent lentement. Les adolescents en ont marre, et se dépêchent de noircir leurs feuilles d’examen. Plus que vingt heures à patienter, dix-neuf, dix-huit…



Chapitre vingt-neuf


La semaine est enfin terminée. Elle aura été plutôt longue aux yeux de l’adolescent, entre les examens à réviser en vitesse et les disputes avec May. Finalement, tout est arrangé, et demain il a rendez-vous chez Maxime, accompagné de sa sœur et de May. Il a hâte de savoir ce que le mystérieux ancien collègue de son père va raconter. Il va devoir fausser compagnie et mentir une dernière fois à sa mère. Il compte bien obtenir toutes les réponses. Il prend son gsm et envoie un message à Anja, pour l’informer de l’heure du rendez-vous.

“Demain je viens te réveiller à neuf heures !”

Steen prend un livre et l’ouvre à la première page. Mais il n’a pas le temps de commencer à se plonger dans l’histoire que son téléphone vibre à nouveau, l’interrompant.

“Si tôt ? Ton amie vient ?”

Le jeune garçon répond par l’affirmative, puis se remet à sa lecture, sans que rien ne vienne le déranger jusqu’à l’heure du souper. Steen prend un morceau de papier en guise de marque-page et pose son livre sur la table de chevet. L’odeur de la tarte qu’a fait sa mère vient jusque dans le couloir qu’il emprunte pour aller manger.

“Ça sent bon !
— C’est au thon et à la crème.”

Steen mange une part de tarte, discutant un peu avec sa mère. Mais ses paroles lui semblent vides et dénuées de sens, comme inutiles et de trop. Pourtant il ne s’en plaint pas et continue jusqu’à ce qu’il quitte la table. Il consulte son gsm pour voir s’il n’a pas raté de messages, ouvre les sms échangés avec May. Peut-être qu’il devrait lui en envoyer un, pour être sûr pour demain…

May se sent indéniablement heureuse. Libérée de l'obligation et du stress des examens, du poids de ses sentiments. Steen l'aime vraiment, tout comme elle. Et demain, elle sera probablement libérée du poids du passé et de tous les secrets qui entourent ce fameux crash. Ils allaient enfin tout savoir, toute la vérité qu'on leur cache depuis dix ans. Et puisqu'ils s'aiment, la fin de cette enquête ne signifiera aucune autre fin, aucune séparation, ni aucun retour en arrière. La cerise sur le gâteau, c'est que son anniversaire est dans cinq jours. C'est toujours un beau jour, un anniversaire. Et puis, la jeune fille sera ainsi enfin aussi "vieille" que Steen. Bref, tout est à peu près parfait. Il y a des ombres aux tableaux : l'adolescente a fait trop d'erreurs, perdu trop de monde, au sens propre comme au figuré, durant ces quelques mois, mais elle ne veut plus trop regarder en arrière. Plus comme avant.

L'hirondelle vole bas, mais l'orage passe.

May ne sait pas encore ce que signifie exactement cette phrase, cette maxime, mais effectivement "l'orage" semble passer. Elle s'est retrouvée bien bas, et plusieurs fois, mais aujourd'hui tout va beaucoup mieux. Elle espère que le lendemain n'éveillera pas plus de questions ou de tristesse. Plusieurs fois, elle s'est dit qu'elle aurait dû laisser tomber, laisser sagement ses parents à leur place, en paix. Si demain tout cela pouvait enfin se terminer, ça lui plairait beaucoup. Elle ne savait pas dans quoi elle mettait les pieds, au début.
Cependant, toute cette joie, elle a envie de la partager. May rejoint donc la salle de jeux principale, en quête de Seb. Ses yeux parcourent la grande pièce. Un certain nombre de gamins y jouent, ce qui cause pas mal de bruit, mais l'adolescente n'y reconnaît pas la tête brune du petit garçon. La jeune fille brune s'apprête alors à repartir pour le chercher ailleurs, lorsque deux petites mains lui attrapent le bras gauche.

“Bouh !
— Seb ! Tu m'as fait peur !”

L'enfant sourit de toutes ses dents, heureux d'avoir réussi à surprendre May.
“Comment tu vas, toi ?
— Bien ! Et ma maîtresse elle a dit que j'avais fait des progrès en calcul !
— C'est chouette ça !
— Tu viens jamais ici d'habitude... T'es venue pour jouer avec moi ? demande le garçon avec enthousiasme.
— On peut dire ça ! fait May en riant.
— Viens alors !”

Seb l'entraîne par la main dans un coin de la grande pièce, et sort une boîte de jeu qu'il apprécie. Il explique les règles à la jeune fille, qui écoute attentivement. Mais, sans que ce soit fait exprès, c'est le petit garçon qui gagne, et il en est si content qu'elle rit encore. Un instant, elle pense à Steen, et elle se dit qu'elle devrait les faire se rencontrer, tous les deux. Elle est sûre que son copain trouverait le petit aussi mignon et attendrissant qu'elle le pense elle-même.

Steen a tellement hâte d’être demain qu’il ne peut pas s’empêcher de bouger. Il n’arrive pas à se concentrer sur une chose, ni sur son livre, ni sur ses devoirs. D’un autre côté, les examens sont terminés, il ne reste plus que lundi à passer. Ensuite, ils seront en vacances, et Noël approche. Ainsi que l’anniversaire de May. Steen ne sait toujours pas quoi lui offrir ; il a pensé à un bijou, une bague ou un bracelet, mais il ne connaît pas les goûts de sa copine. Mais il ne peut pas lui demander, au risque de se faire griller. La surprise doit rester secrète.
L’adolescent sait qu’il ne parviendra pas à trouver le sommeil tout de suite. Peut-être qu’il devrait envoyer un sms à May, juste comme ça ? Il attrape son gsm, et remarque le nombre de messages envoyés depuis quelques semaines. Il n’aurait pas pensé en envoyer autant.

“Je peux pas dormir, je suis trop impatient…”

“Compte les moutons :D”

Steen sourit en lisant la phrase de May. Après quelques sms échangés, ils finissent par s’interrompre lorsque leurs paupières commencent enfin à se fermer, gagnés par la fatigue.

La lumière réveille Steen. Il grogne en plissant les yeux et se détourne pour tenter de se rendormir, mais soudain il se rappelle la date. Samedi. Aussitôt, son cœur fait un bond et il se lève en se précipitant. Il ne doit surtout pas être en retard aujourd’hui. En quelques secondes, il s’habille, prend son gsm et passe à la salle de bain. À moitié réveillé, il n’a pas le temps de prendre son petit déjeuner, et a juste le temps de prendre ses clés pour fermer la porte derrière lui, sans parler à sa mère. Elle saurait bien assez tôt où il partait.
Sa copine l’attend déjà et Steen s’en veut de ne pas s’être réveillé plus tôt. Ensemble, ils se dépêchent de se rendre chez Anja, où ils avaient rendez-vous. Tous trois montent en voiture, silencieux et impatients.

Lorsqu’Anja et les deux adolescents arrivent dans le quartier de Zaventem, May reconnaît rapidement les lieux. Elle jette un regard rapide à Steen, comme pour se rassurer. Le souvenir de l’avion revient occuper son esprit avec vivacité. Elle sait désormais qu’ils sont près de l’aéroport, et que voir un avion bas est tout à fait normal, mais elle ne peut s’empêcher de se sentir stressée. Il y a des peurs qui ne s’évaporent pas facilement.
C’est Steen qui sonne, arrivés devant le bâtiment qui ne paie pas de mine. Maxime ouvre la porte et May détaille des yeux le faciès sérieux aux traits tirés. Un début de calvitie affleure sur le devant du crâne de l’homme, tandis que de fins cheveux bruns parsèment les côtés, l’arrière et le haut de la tête. Ses petits yeux gris perçants se plissent, puis s’allument en reconnaissant ses visiteurs. Cependant sa voix est grave lorsqu’il les invite à entrer.

“Bonjour Steen, bonjour Anja, fait-il en les saluant.

Tous les deux le saluent à leur tour d’un signe de tête poli, et même d’une poignée de main pour la jeune femme.

“Et toi, qui es-tu ? demande Maxime en se tournant vers May.
— Je m’appelle May…
— May ?” l’interrompt-il.
Le visage de l’homme change, se crispe, et il insiste :

“May Droubet ? La fille de Liana et Marc ?
— Euh, oui”, acquiesce la jeune fille, étonnée.

Ainsi, il connaîtrait aussi ses parents ? La jeune fille pensait qu’il était simplement un collègue du père de Steen. Elle entre, fébrile, à la suite de son copain et la sœur de ce dernier. Maxime les invite à tous prendre place dans son petit salon, où May se serre contre Steen sur un petit sofa.
L’ancien collègue du commandant décide de ne pas y aller par quatre chemins. Ça ne ferait que rendre plus douloureux ce qui le sera déjà. Il s’humidifie les lèvres et déglutit avant de plonger son regard dans celui des jeunes, tour à tour.

“J’ignore si vous avez eu des échos, puisque vous menez votre petite enquête, mais Klaas s’est suicidé.”

Steen regarde Maxime fixement. Il attend que quelqu'un dise quelque chose, n'importe quoi. Que l'homme face aux trois jeunes leur dise que ce n'est pas vrai, que tout ça n'est qu'un rêve et que bientôt, ils se réveilleront comme si rien ne s'était passé. Comme s'il n'avait jamais dit ces mots. Sauf que personne ne dit rien, et Steen ne se réveille pas. Le silence pèse sur eux, il n'y a plus que le tic-tac de l'horloge accrochée au mur. L'adolescent voudrait prendre la parole, pour demander des explications. Mais il n'est pas prêt à entendre ça. Finalement, c'est Anja qui ouvre la bouche.


“Mais comment... Qui était au courant ? Pourquoi...?”

Pourquoi personne ne leur a jamais rien dit ? Pourquoi tant de secrets ? Pourquoi avoir fait ça ? Trop de questions fusent dans l'esprit du jeune garçon. Sa respiration s'accélère, il a l'impression de manquer d'air. Il a la tête qui tourne et la gorge sèche. La gorge nouée, il attend les réponses de Maxime, les mains serrées et crispées sur ses genoux.

“En fait, explique Maxime, la voix tremblotante, Klaas avait… Une liaison avec… Ta mère, May. Il ne supportait plus tout ça, et il a décidé d’abréger ses souffrances en emmenant son équipage avec lui.”

L’homme regarde le sol, le regard triste et coupable. C’est lui qui a dû dire la vérité aux trois jeunes, qui ne pensaient pas avoir à faire face à ce genre d’annonces si brutales. Le regard empli de larmes, qui pourtant ne coulent pas, Steen jette un coup d’œil à sa copine. Il ne peut pas supporter cette révélation, pourtant tout concorde. D’un bond, il se lève, et sort par la porte qui n’est pas verrouillée.
May observe cet homme qui se dit ami de Klaas, horrifiée. Elle ne peut pas le croire. Ce qu’il vient d’annoncer là, c’est impossible. Absolument impossible. Sa mère n’était pas comme ça. Pourtant, Maxime n’a pas la tête d’un menteur. Et Steen avait l’air de lui faire confiance, du moins avant que l’homme ne dise une chose pareille. Maintenant, May ne sait plus.
Une autre pensée traverse l’esprit de la jeune fille et lui glace le sang. Si tout ça est vrai, est-ce que Steen est son… frère ? Son… demi-frère ? Peut-elle être tombée amoureuse de son demi-frère ? Non. Non, ça ne se peut pas. Rien de tout cela ne peut être vrai. C’est tout bonnement impossible. Maxime a dû se tromper, peut-être interprété une grande amitié. Oui, ça doit être ça, May en est presque sûre maintenant. Ce ne peut être que ça. L’homme s’est trompé, et il ne s’est rien passé entre sa mère et le père de son petit copain.
L’adolescente se tourne vers Steen, pour le rassurer, lui dire qu’elle a trouvé la faille, la solution, mais s’aperçoit qu’il a disparu.

“Steen ?” appelle-t-elle sans trop y croire.

Pas de réponse. Allongeant son regard, elle remarque la porte entrouverte et la franchit, laissant Anja seule avec Maxime. Dehors, le jeune garçon s’était assis sur le trottoir, la tête entre les mains. La jeune fille s’approche, et sans dire un mot, elle se laisse choir à côté de lui sur le bord des pavés.

“Non, c’est pas possible…” gémit Steen sans lever le regard.

May prend la main du garçon dans la sienne et la serre. L’adolescent tourne alors sa tête vers elle, qui plante son regard dans le sien.

“J’ai vu qu’une solution, le rassure-t-elle, il s’est trompé. Ça ne peut être que ça.”

Le jeune garçon inspire l’air gelé. May doit avoir raison, ce n’est pas possible. Pourtant, si son cœur lui dit que Maxime se trompe, sa raison n’est pas d’accord. Et si l’homme ne disait que la vérité ? Klaas ne serait alors plus qu’un assassin, un meurtrier sans aucune valeur. Cela expliquerait aussi pourquoi la mère de Steen ne désire pas parler de lui. Il l’avait trompée, il avait abandonné tous ceux qui l’aimaient, en tuant de nombreux innocents avec lui. Steen ne pouvait plus le nier. C’est ça, la terrible vérité qu’on voulait leur cacher. La seule vérité. Et May devra bien l’accepter, elle aussi.

“May… Et s’il avait raison ? Si c’était pour ça qu’ils nous cachaient tout ça ?” chuchote l’adolescent en fixant le vide.

La jeune fille se crispe et frémit. Elle secoue la tête inconsciemment, provoquant le tressautement de ses boucles brunes. Lorsqu’elle répond, sa voix paraît lointaine.

“J’y crois pas. C’est pas possible.
— Moi non plus, j’espère pas…”

Remarquant qu’il serre de plus en plus fort, Steen relâche la pression sur la main de May. Ils devraient peut-être y retourner, pour chercher Anja et rentrer. Les muscles du garçon se contractent, et il se redresse en s’appuyant sur le trottoir.
May se relève gauchement, comme sonnée. Il lui faut un peu de temps pour reprendre ses esprit, et pouvoir suivre son copain à l’intérieur de l’habitation. Dans le petit salon, Anja parle toujours avec Maxime. Les deux adolescents se demandent ce qu’ils se sont dit en leur absence, peut-être est-ce important. À leur vue, la jeune femme se lève, et le grand homme l’imite. Ce dernier les raccompagne jusqu’à la porte, son air grave et pincé toujours accroché à son visage.

“Je suis désolé d’avoir dû vous apprendre ça… Ce n’était pas à moi de le faire.
— Merci quand même”, répond Anja pour eux trois.

La mort dans l’âme, Steen n’avait pas imaginé une seule seconde que tout se terminerait comme ça. Il se détourne de la maison de l’ancien collègue de son père. Lorsqu’ils retrouvent la voiture, l’adolescent aux yeux bleus propose :

“Et si on allait demander à notre mère ? À trois elle sera obligée de tout dire. Non ?
— Tu crois vraiment qu’elle acceptera de me parler ? Demande May.
— Elle aura pas le choix. On y va ?
— Je te fais confiance.”

La grande sœur acquiesce aussi et tous les trois entrent dans la voiture. Anja démarre le véhicule et s’engage sur la route du retour. Steen pose sa tête sur la vitre. Il n’arrive plus à réfléchir, ni même à penser à quoi que ce soit de sensé. Lorsque la voiture s’arrête dans la rue, les trois jeunes sortent rapidement et se dirigent vers l’appartement de la mère de Steen et Anja. Ils montent les escaliers d’un pas décidé, et entrent. Aussitôt, le bruit des pas de la femme se font entendre.
May se cache derrière Steen, intimidée. Elle n’a pas oublié le regard glacial de l’hôpital. Ni le ton de la voix quand la femme lui a adressé la parole. Elle n’est pas sûre de vouloir encore affronter ce regard. Même si, si Maxime dit vrai, elle en comprend aujourd’hui la raison.

“Les enfants… lance la femme comme une salutation.
— Bon, ça suffit maintenant ! Tu vas tout nous dire, depuis la liaison de notre père jusqu’à son suicide, ordonne Steen.
— Quoi ?”

Si sa mère avait eu quelque chose dans les mains, elle aurait tout lâché sans aucun doute. À la place, elle prend place sur le fauteuil en soupirant. Elle ne semble pas encore avoir remarqué May. Les jeunes s’empressent de s’asseoir en face d’elle pour écouter ce qu’elle a à leur dire.

“J’ai l’impression que vous savez déjà tout. J’ai découvert un jour que Klaas me trompait avec… La mère de May.”

La jeune fille concernée tremble encore une fois, et le regard de la mère se pose sur elle. L’animosité du mois passé a disparu, remplacée par ce qui ressemble à une profonde lassitude. L’adolescente ressent soudain une pointe de compassion pour cette femme qui, au fond, n’a fait que subir tous ces événements en essayant de rester forte pour ses enfants.

“C’est… Notamment pour ça que je ne voulais pas que vous vous voyiez. J’avais peur… Mais je vois que ça n’a servi à rien, de toute façon.
— Maman… Est-ce qu’on est… Frère et sœur ?
— Non. Leur… Liaison a débuté après la naissance de May. Enfin, maintenant, vous connaissez l’histoire.
— Mais pourquoi papa s’est… suicidé ? intervient Anja.
— On avait évoqué le divorce, plusieurs fois. En fait, il ne savait pas choisir entre elle et moi. Alors il a choisi de ne pas choisir et il s’est suicidé. Il pensait sûrement qu’on s’en sortirait mieux sans lui.”

Elle marque une pause, attendant que Steen et Anja encaissent le choc. L’adolescent a du mal à respirer tellement cette déclaration lui fait mal. Son père n’est pas celui qu’il croyait. Il doit s’y faire. Étrangement, il comprend sa mère. Elle voulait les protéger, et eux n’en ont fait qu’à leur tête. Le jeune garçon ne pensait pas que ça se terminerait comme ça.

“Je voulais juste vous protéger…”, ajoute encore la mère, comme implorant un pardon.

Anja hoche la tête. Elle aussi comprend leur mère. Après quelques secondes de silence, la femme blonde se lève. Elle semble plus âgée, plus fatiguée qu’avant. Comme si révéler la vérité l’avait vieillie d’un seul coup. Elle disparaît dans le couloir, et personne ne bouge.

“Je suis désolée, chuchote May.
— Fallait qu’on l’apprenne, à un moment…”

Le silence devient trop pesant, comme si les jeunes n’ont plus rien à se dire. Ils réfléchissent et ressassent tous les annonces de la journée. Finalement, Anja se tourne vers la jeune fille.

“Je pense que ça serait mieux que tu rentres. Je peux te raccompagner, si tu veux.”

May acquiesce de la tête, sans rien dire. Elle suit la jeune femme dans la cage d’escalier, toujours silencieuse. Toutes ces informations, ces révélations l’ont abattue. Elle a toujours beaucoup de mal à y croire, mais elle commence à comprendre qu’elle ne pourra pas toujours le nier. Ses parents ne sont pas ceux qu’elle le pensait. Il faudra bien qu’elle s’y habitue. Mais pas aujourd’hui. C’est trop dur à avaler et, quand elle rentre, l’adolescente s’écroule sur son lit et s’endort.

Steen aurait préféré rester avec sa copine, mais il sait qu’Anja a raison. Ils ont besoin d’un peu de temps pour
digérer tout ça. Il regarde May s’en aller, tristement. Une fois que la jeune fille a totalement disparu, il soupire et va dans sa chambre, tandis que sa sœur raccompagne May jusqu’au centre. L’adolescent s’allonge sur son matelas et une voix résonne dans sa tête.
Il ne faut jamais perdre espoir.
Il y a bien cru en tout cas. Jusqu’au bout, il a espéré des chimères.
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Kayl




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MessageSujet: Re: Mayday ~ il faut 10 caractères   Mayday ~ il faut 10 caractères - Page 2 EmptyDim 21 Aoû - 16:13

Chapitre trente


Mercredi 21 décembre. May se lève, radieuse. Aujourd’hui, elle a quatorze ans. Et elle est en vacances depuis la veille. Une belle journée en perspective, donc. D’autant plus qu’un message de Steen l’attend sur son gsm.

“Bon anniv’ ma chérie ! <3 Prête pour ta surprise ? :D”

Elle sourit en le lisant. En envoie un autre pour le remercier, puis glisse l’appareil dans sa poche et sort de la petite pièce, le sourire aux lèvres. Dans le couloir, elle croise l’éducatrice aux longs cheveux blonds.

“Bon anniversaire May !
— Oh, euh… Merci !”

May continue à parcourir le couloir pour aller manger, et déjeune d’un yaourt et d’une tartine associés à un bon chocolat chaud. Son repas avalé, elle attend avec impatience l’heure où Steen viendra la chercher. Elle s’est préparée avec attention, mais ça n’a pas fait avancer les aiguilles suffisamment à son goût. Lorsque l’heure arrive enfin, la jeune fille est déjà dehors, serrée dans son manteau, parcourant la rue des yeux en quête de son copain.

Après avoir passé des heures dans des magasins, la veille, Steen s’était enfin décidé sur le cadeau pour May. Il a choisi un pendentif, avec une belle améthyste, qui lui a coûté la fin de ses économies. Il attendra Noël pour avoir à nouveau un peu de sous. Depuis quelques jours, où il a réfléchi, l’adolescent s’est fait une raison. Son père n’était peut-être pas celui qu’il aurait aimé avoir. Maintenant, c’est trop tard pour avoir des regrets, il faut aller de l’avant. Et aujourd’hui, c’est l’anniversaire de sa copine. Il a prévu de lui offrir son cadeau un peu après un repas au restaurant, et il s’est préparé avec beaucoup de soin pour paraître le plus beau possible.
Il ferme la porte derrière lui en vérifiant machinalement qu’il n’a rien oublié. Il boutonne sa veste avant de sortir, et se dépêche d’aller à l’arrêt de bus. Après plusieurs longs arrêts, le véhicule stoppe près du centre où habite May. Steen descend et marche d’un pas vif dans la rue, jusqu’au foyer. Son cœur se met à battre plus fort lorsqu’il remarque la jeune fille aux boucles brunes. Il espère que l’adolescente n’a pas oublié qu’il venait la chercher.

“May !” interpelle-t-il.

La jeune fille l’aperçoit et court vers lui.

“Salut !”

Steen prend sa copine dans ses bras et l’embrasse. Impatient, il touche sa poche pour vérifier, une fois de plus, qu’il a toujours la petite boîte contenant le cadeau.

“Viens avec moi !” s’exclame-t-il.

Sans donner plus d’explications, Steen l’entraîne dans les rues de la ville. May le suit sans rechigner, et le garçon essaye de marcher un peu moins vite pour que sa copine n’ait pas à courir derrière lui. Il savoure ces quelques instants de silence à marcher à ses côtés, jusqu’à ce qu’ils atteignent le petit restaurant où Steen a décidé de manger. Le garçon affiche un large sourire en tenant la porte en une imitation grotesque d’un majordome.

“Après vous, très chère.”

Dans la bonne humeur, les deux enfants entrent dans la grande salle. Ils vont s’asseoir à une table à deux personnes, dans un coin. Le plafond est haut, tenu par des colonnes de pierres. Des tables s’alignent, où de nombreuses personnes sont déjà assises ou en train de manger. L’adolescent n’a pas mangé dans un restaurant depuis des mois, mais aujourd’hui, c’est différent. Il n’est plus avec sa sœur et sa mère, c’est lui qui invite.
Steen regarde les menus. Dans sa poche, il sent les billets que sa mère lui a laissés. Dans l’autre poche, le cadeau. Il pose la carte sur sa table, ayant fait son choix. Un serveur s’approche, avec un petit carnet de notes à la main.

“Vous avez fait votre choix ? demande-t-il poliment.
— Euh oui. Je vais prendre un steak-frites, et un coca-cola, commande Steen.
— Un deuxième steak, s’il-vous-plaît, et un jus de pomme.
— Très bien.”

Le jeune homme repart vers la cuisine à petits pas pressés, laissant les deux adolescents en tête-à-tête. May observe la grande salle, admirative.

“Pourquoi ici ? Ça doit pas être donné, chuchote-t-elle.
— Parce que c’est ton anniv’. Je voulais t’offrir la plus belle journée de ta vie.”

La jeune fille ne sait plus quoi répondre. Elle regarde Steen, grave une énième fois son visage dans son esprit. Même s’il le hante déjà sans cesse. Même si elle le connaît déjà par cœur. Elle lui vole encore un baiser par-dessus la petite table, ignorant les autres personnes attablées autour d’eux.

“Merci.”

Gêné, Steen baisse les yeux en souriant. Pour lui, c’est normal de vouloir faire plaisir à sa petite copine. Il attend déjà la fin du repas avec impatience, sans savoir ce qu’il va dire. Il s’imagine presque la demander en mariage, pourtant ce n’est qu’un cadeau d’anniversaire. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, le même serveur qui leur a fait passer commande revient avec les boissons, puis les plats. Il leur souhaite un bon appétit et s’en va, l’air supérieur, à l’autre bout de la salle.
Steen prend une frite, qu’il avale en entier. May découpe son steak en silence et avec difficulté, mais finit par y arriver. Les deux adolescents savourent leur repas sans trop parler, trop occupés à déguster cette nourriture de luxe. Le garçon aux yeux bleus essaye de faire passer le temps le plus lentement possible. Il ne se sent pas prêt, mais de toute façon il ne se sentira jamais prêt. Il reste timide, et ce qu’il ressent pour May lui fait toujours perdre ses moyens, même après ces quelques semaines qu’ils sont ensemble.

“C’est bon, hein ? Tu veux un dessert ? T’inquiète, je paye.
— Oui, mais j’ai plus trop faim, donc pas forcément.
— On peut prendre un truc et on partage sinon, propose Steen.
— Bonne idée, ça me va !”

Un nouveau serveur arrive, leur sourit en débarrassant les assiettes vides. Avec le bruit de fracas des couverts sur les plats, il les entasse de manière impressionnante et s’empare également des deux verres vides. Juste avant de partir, il leur demande :

“Voulez-vous un dessert ?
— Euh… Oui.
— Je vous apporte la carte, alors”, conclut le serveur en s’éloignant.

Le jeune homme ne tarde pas à revenir, une feuille plastifiée à la main. Il la dépose sur la table et May se tord le cou pour regarder ce qui est écrit. Pour lui faciliter la tâche, Steen lit les desserts à voix haute, tout en commentant.

“Tiramisu, gaufre de Liège et gaufre de Bruxelles, cheesecake à la mandarine… Euh ça donne pas très envie. Sinon y a des glaces.
— Je dirais bien une gaufre, si ça te tente.
— Plus qu’un cheesecake, oui. Laquelle ?
— Une de Bruxelles au chocolat ?
— Allez !” approuve le jeune garçon.

Lorsque le serveur revient de leur côté, ils commandent leur gaufre et ne patientent pas longtemps avant de la recevoir. May a de nouveau faim rien qu’à la voir arriver, fumante et blanche de sucre glace. Elle s’empare du petit pot de chocolat et s’amuse à le faire couler dans les carrés de pâte, ce qui fait sourire son petit copain. Il la laisse jouer un peu avec sa gaufre, le temps de préparer ce qu’il va lui dire en offrant son cadeau. Mais son esprit s’égare, il songe à sa sœur, à la rentrée au début de l’année 2017, il songe qu’ils n’auront plus à se cacher pour se voir et se parler. Il songe que tout ça, c’est terminé, derrière eux, comme un mauvais souvenir dont on se débarrasse facilement.
Lorsqu’il reporte son attention sur May, la gaufre est déjà entamée. Il laisse la jeune fille brune manger ce qu’elle veut, puis il prend l’assiette et attrape la pâtisserie dans ses mains. Il croque dedans et sent le chocolat couler sur ses doigts. Après avoir terminé la gaufre, l’adolescent se lèche les doigts et s’essuie dans sa serviette.
Il sait que c’est le bon moment pour offrir le bijou. Il glisse sa main dans sa poche, attrape la petite boîte noire. Son cœur se met à battre encore un peu plus fort. Lentement, il remonte le paquet contre son torse, sous la table, et le tend à May comme si de rien n’était.

“Encore bon anniversaire !”

La jeune fille sourit, attrape l’objet et le soupèse, tentant de deviner ce qu’il y a à l’intérieur. Ça ne fait pas de bruit, c’est léger et plutôt petit d’ailleurs. Elle ignore ce que cache le papier et, impatiente, le déchire sans plus de formalités. Elle ouvre la petite boîte et reste stupéfaite devant la petite pierre qui brille au bout de la chaîne.

“Oh… Mais elle est magnifique !
— Elle te plaît ? Vraiment ?
— Oui, bien sûr.”

May sort le bijou de son écrin protecteur et le passe autour de son cou. Selon elle, ça s’accorde plutôt bien avec le châtain de ses cheveux. Steen a choisi la bonne couleur. Et elle est fière de cette petite perle. C’est comme une preuve. Il n’y a que le passé qui est fini. Le futur leur tend les bras à tous les deux, et ensemble.

“Encore merci.
— Je suis content que ça te plaise. J’étais pas sûr…”

L’adolescent sourit, fier de son choix. Il trouve que le pendentif lui va bien. Mais le serveur vient une nouvelle fois les interrompre pour débarrasser la table et donner la note. C’est cher, mais ça, Steen le savait avant de venir. Il a apporté assez d’argent, en liquide, et il tend quelques billets pour payer. Le garçon aux yeux bleus se lève, et May fait de même. Elle attrape sa veste, et main dans la main, les deux jeunes se dirigent vers la sortie.

En passant la porte dans l’autre sens, le froid mordant s’infiltre sous les vêtements de Steen. En levant le regard, il remarque les petits flocons qui tombent drus. Son sourire s’élargit un peu plus. Il a toujours aimé la neige, et cette année, elle s’est décidée à tomber suffisamment fort pour recouvrir les toits des voitures d’une pellicule blanche. Peut-être que si ça dure, demain, une couche de neige aura entièrement enseveli la ville. Depuis quelques années, il n’a pas neigé pour Noël ; et si cette année, c’était différent ? Steen inspire l’air glacial, et rabat sa capuche sur sa tête. Les petits flocons lui fouettent le visage, et lui gèlent le cou, mais il n’aurait pas pu être plus heureux.
Le jeune garçon se met à courir sous la neige, comme s’il était retourné en enfance. Il n’y a pas d’âge pour courir sous la neige. May le suit et tous les deux se mettent à rire, insouciants. Tous leurs problèmes se sont envolés.
Juste après la découverte de la vérité sur leurs parents, Steen s’était senti si mal qu’il pensait qu’il ne pourrait plus être heureux. Que cette douleur dans son cœur était si
profonde que jamais il ne pourrait l’effacer. Chaque fois qu’il pense à Klaas, il ressent le même coup dans son cœur, celui de se sentir trahi, mais il sait que ça va passer. Parfois, il songe à la maxime sur les tombes, et il s’interroge sur leur signification exacte. Puis il passe à autre chose, ce n’est pas si important.
Mais aujourd’hui, peu importe tout ce qui a pu se passer. C’est un peu grâce à ces épreuves qu’il est tombé amoureux de May, et qu’il est heureux. Le ventre plein, l’adolescent regarde les nuages blancs au-dessus de lui. Gonflés de neige, ils ne semblent pas prêts à arrêter la tempête.

“C’est génial !” commente-t-il.

Lentement, il s’approche d’une voiture et fait glisser son doigt sur le pare-brise enneigé. C’est si froid. Il essuie la goutte fondue sur son manteau fourré avant de se rapprocher de la jeune fille, qui tend les bras pour tenter d’attraper des flocons entre les doigts comme une enfant. Mais elle n’est plus une enfant. Plus depuis quelques jours. Ou alors depuis qu’elle a déménagé ? Ou même, depuis Lyon ? Elle ne sait pas, et elle ne veut pas savoir. Aujourd’hui est aujourd’hui, demain sera demain, et le passé restera toujours le passé. Qu’il soit enfumé de secrets ou connu dans toute sa vérité.
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Kayl




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